Ce n’est pas, je vous jure, fléchissement d’une gratitude que chaque jour grandit, si je ne vous ai pas écrit tout de suite. Déjà confus que vous eussiez, malgré mes recommandations, pris la peine de m'écrire, au moment où vous vous surmenez à préparer des victoires et où vos correspondants attendent de vous non pas même la « brevitas » ni le « silentium » du général2, chaque jour j’ai cru être le lendemain en état de passer chez vous. Mais ma crise s’est prolongée plus que je n’aurais cru. Je pense être en état de causer quelques secondes avec vous d’un jour à l’autre. Ce sera bien assez tôt pour ce que j’ai à vous demander, mais pas assez tôt pour vous dire ma reconnaissance. J’étais malheureux de l’avoir tue jusqu’ici et c’est pour cela que je vous écris. Vous savez peut-être que votre élève, mon frère, ne se montre pas indigne d’un tel maître3. Ses infirmières ont écrit à leur présidente4 qu’il faisait l’admiration de tous par son courage et son sang froid. Hélas qui dit courage (elles ont même écrit « héroïsme ») dit danger couru5. Et les nouvelles de l’investissement possible de Verdun ne sont pas pour diminuer mon anxiété6. Mais c’est déjà trop d’en parler, puisque il n’y a pas en ce moment un Français qui n’ait à craindre pour des vies chères et à s’enorgueillir de vies offertes en sacrifice. Un dernier mot cher Monsieur, il est bien entendu que vous permettrez (vous me rendrez ainsi doublement service sans cela je n’oserais pas) que je vienne en client. Cela ne me privera en rien de la douceur d’être appelé « ami », et cela la laissera plus pure de scrupules. Les termes de client et d’ami n’ont rien d’inconciliable. Vous savez mieux que personne par quelles belles synthèses on peut résoudre de telles antithèses, vous qui avez si bien opposé puis réuni « maître » et « égal » dans votre réponse à la Barre7.
Veuillez agréer cher Monsieur l’hommage de mes sentiments bien respectueux et reconnaissants.
Ce n’est pas, je vous jure, fléchissement d’une gratitude que chaque jour grandit, si je ne vous ai pas écrit tout de suite. Déjà confus que vous eussiez, malgré mes recommandations, pris la peine de m'écrire, au moment où vous vous surmenez à préparer des victoires et où vos correspondants attendent de vous non pas même la « brevitas » mais le « silentium » du général2, chaque jour j’ai cru être le lendemain en état de passer chez vous. Mais ma crise s’est prolongée plus que je n’aurais cru. Je pense être en état de causer quelques secondes avec vous d’un jour à l’autre. Ce sera bien assez tôt pour ce que j’ai à vous demander, mais pas assez tôt pour vous dire ma reconnaissance. J’étais malheureux de l’avoir tue jusqu’ici et c’est pour cela que je vous écris. Vous savez peut-être que votre élève, mon frère, ne se montre pas indigne d’un tel maître3. Ses infirmières ont écrit à leur présidente4 qu’il faisait l’admiration de tous par son courage et son sang-froid. Hélas qui dit courage (elles ont même écrit « héroïsme ») dit danger couru5. Et les nouvelles de l’investissement possible de Verdun ne sont pas pour diminuer mon anxiété6. Mais c’est déjà trop d’en parler, puisque il n’y a pas en ce moment un Français qui n’ait à craindre pour des vies chères et à s’enorgueillir de vies offertes en sacrifice. Un dernier mot cher Monsieur, il est bien entendu que vous permettrez (vous me rendrez ainsi doublement service sans cela je n’oserais pas) que je vienne en client. Cela ne me privera en rien de la douceur d’être appelé « ami », et cela la laissera plus pure de scrupules. Les termes de client et d’ami n’ont rien d’inconciliable. Vous savez mieux que personne par quelles belles synthèses on peut résoudre de telles antithèses, vous qui avez si bien opposé puis réuni « maître » et « égal » dans votre réponse à la Barre7.
Veuillez agréer cher Monsieur l’hommage de mes sentiments bien respectueux et reconnaissants.
Marcel Proust
1.
Cette lettre suit, après un intervalle de
plusieurs jours, la réponse positive que le docteur Pozzi avait, manifestement,
apportée à la demande d'une consultation que Proust lui avait faite le [4 octobre
1914] mais n'avait mise à la poste que le 7 octobre (CP
05409). La réponse de Pozzi n'a pas été retrouvée. Nécessairement
antérieure à la visite qu'il fera chez Pozzi un peu avant le 24 octobre 1914 (voir
CP 02830 ; Kolb, XIV,
n° 176), cette lettre peut être datée du [14 ou 15 octobre 1914], Proust exprimant
son angoisse face à « l'investissement possible de Verdun » par les Allemands : voir
la note 6 ci-dessous. [FL]
2.
La « brevitas du
général » traduit quasi littéralement une formule de Tacite bien connue des
latinistes : imperatoria brevitas
(Histoires, I, 18), cette « brièveté du commandement » désignant la parole
laconique et efficace des gens de guerre (par opposition à la rhétorique persuasive
des avocats et des hommes politiques). Mais le terme silentium
introduit par Proust dans la formule fait allusion à un général bien précis, le
généralissme Joseph Joffre, chef d'état-major de l'armée française, le « vainqueur
de la Marne », célèbre pour ses silences et son laconisme. (Voir sa biographie par
Alexander Kahn, Life of General Joffre, New York, Stokes, 1915,
p. 9 ; voir aussi, par exemple, cette caricature, « Le silencieux : Joffre », dans Le Rire
rouge du 19 décembre 1914.) [Nous remercions Christiane
Deloince-Louette pour son identification de l'allusion à Tacite.] [LJ, FL]
3.
Robert Proust, chirurgien, avait été
l'élève et l'assistant du professeur Pozzi à l'hôpital Broca, de 1904 à 1914.
Mobilisé comme médecin-major dès le début de la guerre (voir CP 02812 ; Kolb, XIII, n°
161), il déployait à l'hôpital d'Étain, près du front, une activité inlassable, tout
comme Pozzi dans les hôpitaux militaires de Paris (voir CP 05409, note 5). [LJ, FL]
4.
L'hôpital auquel Robert Proust était affecté
à Étain était un « hôpital auxiliaire », géré par l'Association des dames françaises
(ADF), une des sociétés de la Croix-Rouge française (voir Dr François Goursolas, «
Chirurgie et chirurgiens d'une ambulance française en 1915 »,
Histoire des sciences médicales, 1990, 24 (3-4), p. 246).
Il s'agit de l'Hôpital auxiliaire n° 202, installé dans le Pensionnat des jeunes
filles d'Étain. Les infirmières, statutairement, devaient être membres de
l'association qui gérait l'hôpital. « Leur présidente » serait alors Marguerite
Carnot (belle-fille du président de la République Sadi Carnot),
qui dirigea l'Association des dames françaises de 1913 à 1925. [FL]
5.
Le courage et le sang-froid de Robert
Proust sont attestés par sa citation à l'Ordre de l'Armée du 30 septembre 1914 : « A fait
preuve d'un dévouement et d'une énergie remarquable dans l'organisation et le
fonctionnement du s[ervi]ce sanitaire à Étain du 22 au 26 août 1914 en opérant des
blessés même sous le feu de l'ennemi ». Sa bravoure lui avait aussi valu, outre
cette citation, une promotion au grade de capitaine (voir CP 02826 ; Kolb, XIII, n°
175). [LJ, FL]
6.
Proust a pu lire, dès le 14 octobre 1914
dans la soirée, le Communiqué officiel publié par Le Temps du
15 octobre : « les Allemands annoncent qu'ils procèdent à l'investissement de Verdun
» (« Dernières nouvelles : la guerre », p. 4, colonne 1). Le
communiqué dément catégoriquement cette information, mais les explications fournies
attestent, a contrario, qu'il y a bien eu deux tentatives
allemandes dans la région de la Woëvre et de Saint-Mihiel pour s'approcher de
Verdun. Le lendemain, en première page, à la rubrique « La guerre : la situation militaire », Le
Temps revient sur cette proclamation mensongère de l'état-major
allemand : « Loin d'investir la place de Verdun, comme ils le prétendent, ils en
sont tenus à distance par nos troupes » (Le Temps, 16 octobre
1914, p. 1, colonne 3). Même si ces tentatives ont échoué et que l'armée française a
maintenu ses « excellentes » positions, le projet allemand d'investir Verdun n'est
donc pas dénué de réalité, et ce qui a échoué quelques jours auparavant peut réussir
dans les jours suivants. [FL]
7.
Samuel Pozzi avait été appelé comme
témoin, le 25 juillet 1914, à la Cour d'Assises de la Seine dans un procès qui avait
fait grand bruit, celui de Mme Caillaux. Le 16 mars 1914, Henriette Caillaux avait
tiré sur Gaston Calmette, directeur du Figaro, quatre coups de
pistolet browning pour mettre fin à une campagne de déstabilisation que Calmette
menait contre son mari, Joseph Caillaux, ministre des Finances. L'une des balles
ayant traversé l'artère iliaque, Calmette était mort d'une hémorragie interne en
quelques heures. Les trois éminents chirurgiens de la clinique de Neuilly où,
moribond, il avait été conduit, avaient jugé nécessaire de le ranimer et de
stabiliser son état avant de tenter une opération, qui avait échoué. Mme Caillaux
avait choisi comme avocat l'ancien défenseur de Dreyfus, Me
Henri Labori. Sa stratégie consistait à interroger divers chirurgiens pour suggérer
que Calmette ne serait pas mort de ses blessures s'il avait été opéré plus
rapidement. À la barre, Pozzi s'était déclaré partisan, par principe, de
l'intervention rapide, position qui confortait la thèse de la défense, mais il avait
refusé de mettre en cause la compétence et les décisions de ses confrères. À la
question de Me Labori : « N'avez-vous pas été le maître de M.
le professeur Hartmann [l'un des trois chirurgiens] ? », il avait répondu : « M.
Hartmann veut bien m'appeler son maître, mais je le considère absolument comme mon
égal. » (« L'assassinat de Gaston Calmette », Le
Figaro, 26 juillet 1914, p. 7, colonne 3). [LJ, FL]
Ce n’est pas, je vous jure, fléchissement d’une gratitude que chaque jour grandit, si je ne vous ai pas écrit tout de suite. Déjà confus que vous eussiez, malgré mes recommandations, pris la peine de m'écrire, au moment où vous vous surmenez à préparer des victoires et où vos correspondants attendent de vous non pas même la « brevitas » ni le « silentium » du général2, chaque jour j’ai cru être le lendemain en état de passer chez vous. Mais ma crise s’est prolongée plus que je n’aurais cru. Je pense être en état de causer quelques secondes avec vous d’un jour à l’autre. Ce sera bien assez tôt pour ce que j’ai à vous demander, mais pas assez tôt pour vous dire ma reconnaissance. J’étais malheureux de l’avoir tue jusqu’ici et c’est pour cela que je vous écris. Vous savez peut-être que votre élève, mon frère, ne se montre pas indigne d’un tel maître3. Ses infirmières ont écrit à leur présidente4 qu’il faisait l’admiration de tous par son courage et son sang froid. Hélas qui dit courage (elles ont même écrit « héroïsme ») dit danger couru5. Et les nouvelles de l’investissement possible de Verdun ne sont pas pour diminuer mon anxiété6. Mais c’est déjà trop d’en parler, puisque il n’y a pas en ce moment un Français qui n’ait à craindre pour des vies chères et à s’enorgueillir de vies offertes en sacrifice. Un dernier mot cher Monsieur, il est bien entendu que vous permettrez (vous me rendrez ainsi doublement service sans cela je n’oserais pas) que je vienne en client. Cela ne me privera en rien de la douceur d’être appelé « ami », et cela la laissera plus pure de scrupules. Les termes de client et d’ami n’ont rien d’inconciliable. Vous savez mieux que personne par quelles belles synthèses on peut résoudre de telles antithèses, vous qui avez si bien opposé puis réuni « maître » et « égal » dans votre réponse à la Barre7.
Veuillez agréer cher Monsieur l’hommage de mes sentiments bien respectueux et reconnaissants.
Ce n’est pas, je vous jure, fléchissement d’une gratitude que chaque jour grandit, si je ne vous ai pas écrit tout de suite. Déjà confus que vous eussiez, malgré mes recommandations, pris la peine de m'écrire, au moment où vous vous surmenez à préparer des victoires et où vos correspondants attendent de vous non pas même la « brevitas » mais le « silentium » du général2, chaque jour j’ai cru être le lendemain en état de passer chez vous. Mais ma crise s’est prolongée plus que je n’aurais cru. Je pense être en état de causer quelques secondes avec vous d’un jour à l’autre. Ce sera bien assez tôt pour ce que j’ai à vous demander, mais pas assez tôt pour vous dire ma reconnaissance. J’étais malheureux de l’avoir tue jusqu’ici et c’est pour cela que je vous écris. Vous savez peut-être que votre élève, mon frère, ne se montre pas indigne d’un tel maître3. Ses infirmières ont écrit à leur présidente4 qu’il faisait l’admiration de tous par son courage et son sang-froid. Hélas qui dit courage (elles ont même écrit « héroïsme ») dit danger couru5. Et les nouvelles de l’investissement possible de Verdun ne sont pas pour diminuer mon anxiété6. Mais c’est déjà trop d’en parler, puisque il n’y a pas en ce moment un Français qui n’ait à craindre pour des vies chères et à s’enorgueillir de vies offertes en sacrifice. Un dernier mot cher Monsieur, il est bien entendu que vous permettrez (vous me rendrez ainsi doublement service sans cela je n’oserais pas) que je vienne en client. Cela ne me privera en rien de la douceur d’être appelé « ami », et cela la laissera plus pure de scrupules. Les termes de client et d’ami n’ont rien d’inconciliable. Vous savez mieux que personne par quelles belles synthèses on peut résoudre de telles antithèses, vous qui avez si bien opposé puis réuni « maître » et « égal » dans votre réponse à la Barre7.
Veuillez agréer cher Monsieur l’hommage de mes sentiments bien respectueux et reconnaissants.
Marcel Proust
1.
Cette lettre suit, après un intervalle de
plusieurs jours, la réponse positive que le docteur Pozzi avait, manifestement,
apportée à la demande d'une consultation que Proust lui avait faite le [4 octobre
1914] mais n'avait mise à la poste que le 7 octobre (CP
05409). La réponse de Pozzi n'a pas été retrouvée. Nécessairement
antérieure à la visite qu'il fera chez Pozzi un peu avant le 24 octobre 1914 (voir
CP 02830 ; Kolb, XIV,
n° 176), cette lettre peut être datée du [14 ou 15 octobre 1914], Proust exprimant
son angoisse face à « l'investissement possible de Verdun » par les Allemands : voir
la note 6 ci-dessous. [FL]
2.
La « brevitas du
général » traduit quasi littéralement une formule de Tacite bien connue des
latinistes : imperatoria brevitas
(Histoires, I, 18), cette « brièveté du commandement » désignant la parole
laconique et efficace des gens de guerre (par opposition à la rhétorique persuasive
des avocats et des hommes politiques). Mais le terme silentium
introduit par Proust dans la formule fait allusion à un général bien précis, le
généralissme Joseph Joffre, chef d'état-major de l'armée française, le « vainqueur
de la Marne », célèbre pour ses silences et son laconisme. (Voir sa biographie par
Alexander Kahn, Life of General Joffre, New York, Stokes, 1915,
p. 9 ; voir aussi, par exemple, cette caricature, « Le silencieux : Joffre », dans Le Rire
rouge du 19 décembre 1914.) [Nous remercions Christiane
Deloince-Louette pour son identification de l'allusion à Tacite.] [LJ, FL]
3.
Robert Proust, chirurgien, avait été
l'élève et l'assistant du professeur Pozzi à l'hôpital Broca, de 1904 à 1914.
Mobilisé comme médecin-major dès le début de la guerre (voir CP 02812 ; Kolb, XIII, n°
161), il déployait à l'hôpital d'Étain, près du front, une activité inlassable, tout
comme Pozzi dans les hôpitaux militaires de Paris (voir CP 05409, note 5). [LJ, FL]
4.
L'hôpital auquel Robert Proust était affecté
à Étain était un « hôpital auxiliaire », géré par l'Association des dames françaises
(ADF), une des sociétés de la Croix-Rouge française (voir Dr François Goursolas, «
Chirurgie et chirurgiens d'une ambulance française en 1915 »,
Histoire des sciences médicales, 1990, 24 (3-4), p. 246).
Il s'agit de l'Hôpital auxiliaire n° 202, installé dans le Pensionnat des jeunes
filles d'Étain. Les infirmières, statutairement, devaient être membres de
l'association qui gérait l'hôpital. « Leur présidente » serait alors Marguerite
Carnot (belle-fille du président de la République Sadi Carnot),
qui dirigea l'Association des dames françaises de 1913 à 1925. [FL]
5.
Le courage et le sang-froid de Robert
Proust sont attestés par sa citation à l'Ordre de l'Armée du 30 septembre 1914 : « A fait
preuve d'un dévouement et d'une énergie remarquable dans l'organisation et le
fonctionnement du s[ervi]ce sanitaire à Étain du 22 au 26 août 1914 en opérant des
blessés même sous le feu de l'ennemi ». Sa bravoure lui avait aussi valu, outre
cette citation, une promotion au grade de capitaine (voir CP 02826 ; Kolb, XIII, n°
175). [LJ, FL]
6.
Proust a pu lire, dès le 14 octobre 1914
dans la soirée, le Communiqué officiel publié par Le Temps du
15 octobre : « les Allemands annoncent qu'ils procèdent à l'investissement de Verdun
» (« Dernières nouvelles : la guerre », p. 4, colonne 1). Le
communiqué dément catégoriquement cette information, mais les explications fournies
attestent, a contrario, qu'il y a bien eu deux tentatives
allemandes dans la région de la Woëvre et de Saint-Mihiel pour s'approcher de
Verdun. Le lendemain, en première page, à la rubrique « La guerre : la situation militaire », Le
Temps revient sur cette proclamation mensongère de l'état-major
allemand : « Loin d'investir la place de Verdun, comme ils le prétendent, ils en
sont tenus à distance par nos troupes » (Le Temps, 16 octobre
1914, p. 1, colonne 3). Même si ces tentatives ont échoué et que l'armée française a
maintenu ses « excellentes » positions, le projet allemand d'investir Verdun n'est
donc pas dénué de réalité, et ce qui a échoué quelques jours auparavant peut réussir
dans les jours suivants. [FL]
7.
Samuel Pozzi avait été appelé comme
témoin, le 25 juillet 1914, à la Cour d'Assises de la Seine dans un procès qui avait
fait grand bruit, celui de Mme Caillaux. Le 16 mars 1914, Henriette Caillaux avait
tiré sur Gaston Calmette, directeur du Figaro, quatre coups de
pistolet browning pour mettre fin à une campagne de déstabilisation que Calmette
menait contre son mari, Joseph Caillaux, ministre des Finances. L'une des balles
ayant traversé l'artère iliaque, Calmette était mort d'une hémorragie interne en
quelques heures. Les trois éminents chirurgiens de la clinique de Neuilly où,
moribond, il avait été conduit, avaient jugé nécessaire de le ranimer et de
stabiliser son état avant de tenter une opération, qui avait échoué. Mme Caillaux
avait choisi comme avocat l'ancien défenseur de Dreyfus, Me
Henri Labori. Sa stratégie consistait à interroger divers chirurgiens pour suggérer
que Calmette ne serait pas mort de ses blessures s'il avait été opéré plus
rapidement. À la barre, Pozzi s'était déclaré partisan, par principe, de
l'intervention rapide, position qui confortait la thèse de la défense, mais il avait
refusé de mettre en cause la compétence et les décisions de ses confrères. À la
question de Me Labori : « N'avez-vous pas été le maître de M.
le professeur Hartmann [l'un des trois chirurgiens] ? », il avait répondu : « M.
Hartmann veut bien m'appeler son maître, mais je le considère absolument comme mon
égal. » (« L'assassinat de Gaston Calmette », Le
Figaro, 26 juillet 1914, p. 7, colonne 3). [LJ, FL]