J'aurai un conseil et peut-être un service (le conseil sera déjà un bien précieux service) à vous demander, au sujet du conseil de contre réforme que comme officier rayé des cadres, je puis être appelé à passer2. Mais je viens d'avoir des crises d'asthme cardiaque tellement terribles que je ne sais encore quel jour je serai en état d'aller vous trouver3. Cette lettre n'a donc qu'un seul but : vous demander de ne pas me trouver mal élevé si le jour où je me sentirai en état de me lever, je me permets de faire téléphoner chez vous, vous demandant si vous pouvez par hasard me recevoir. Il est infiniment probable, — avec tant de travaux, portés avec l'aisance d'Hercule (qui lui aussi avait éprouvé selon un beau mythe la Jeunesse Eternelle4), mais enfin qui vous prennent tout votre temps5 — que vous ne pourrez pas me recevoir ce jour là. Mais alors un autre jour je prendrai la liberté de retéléphoner. Et comme la classe déjà fort ancienne à laquelle j'appartiens ne sera appelée que dans les dernières, si même plusieurs fois de suite vous ne pouvez pas me recevoir il n'y aura aucun inconvénient à cela. D'ailleurs je viens d'être malade si violemment, qu'une période d'accalmie va peut-être succéder et qu'il me sera peut-être possible de me lever assez souvent, surtout pour un temps aussi court qu'aller chez vous. Ne prenez pas la peine de me répondre, ma lettre n'a qu'un seul but, vous annoncer mon téléphonage, l'expliquer, l'excuser, pour que vous ne le trouviez pas « cavalier ».
Veuillez agréer cher Monsieur l'expression de mon attachement respectueux et reconnaissant.
J'aurai un conseil et peut-être un service (le conseil sera déjà un bien précieux service) à vous demander, au sujet du conseil de contre-réforme que comme officier rayé des cadres, je puis être appelé à passer2. Mais je viens d'avoir des crises d'asthme cardiaque tellement terribles que je ne sais encore quel jour je serai en état d'aller vous trouver3. Cette lettre n'a donc qu'un seul but : vous demander de ne pas me trouver mal élevé si le jour où je me sentirai en état de me lever, je me permets de faire téléphoner chez vous, vous demandant si vous pouvez par hasard me recevoir. Il est infiniment probable, — avec tant de travaux, portés avec l'aisance d'Hercule (qui lui aussi avait éprouvé selon un beau mythe la Jeunesse Éternelle4), mais enfin qui vous prennent tout votre temps5 — que vous ne pourrez pas me recevoir ce jour-là. Mais alors un autre jour je prendrai la liberté de retéléphoner. Et comme la classe déjà fort ancienne à laquelle j'appartiens ne sera appelée que dans les dernières, si même plusieurs fois de suite vous ne pouvez pas me recevoir il n'y aura aucun inconvénient à cela. D'ailleurs je viens d'être malade si violemment, qu'une période d'accalmie va peut-être succéder et qu'il me sera peut-être possible de me lever assez souvent, surtout pour un temps aussi court qu'aller chez vous. Ne prenez pas la peine de me répondre, ma lettre n'a qu'un seul but, vous annoncer mon téléphonage, l'expliquer, l'excuser, pour que vous ne le trouviez pas « cavalier ».
Veuillez agréer cher Monsieur l'expression de mon attachement respectueux et reconnaissant.
Marcel Proust
1.
Le cachet postal de l'enveloppe portant la
date du 7 octobre 1914, Proust a dû écrire cette lettre le dimanche 4 octobre
1914. [FL]
2.
Après avoir fait un an de service
militaire à Orléans comme engagé volontaire, du 15 novembre 1889 jusqu’au 14
novembre 1890, Proust avait été nommé officier de réserve dans l’administration avec
affectation au Service de Santé du Gouvernement militaire de Paris, puis était passé
dans la réserve de l'armée territoriale le 1er octobre 1908.
Mais grâce à l’influence de son ami Gaston Calmette, directeur du
Figaro, frère du docteur Émile Calmette,
Médecin-Inspecteur, Directeur du Service de Santé du Gouvernement militaire de
Paris, il avait été rayé des cadres des officiers de réserve le 30 août 1911 « sur
décision présidentielle » sans passer devant une commission de réforme : voir
son dossier militaire et la lettre du Médecin-Inspecteur Émile
Calmette du 6 septembre 1911 à Proust (CP 02225
; Kolb, X, n° 168). Voir aussi la lettre à Léon Bailby du [9
décembre 1914] où il résume sa situation militaire (CP
05405 et ses notes 5, 6, 9 et 10.). Le 16 septembre 1914, il a pu lire
dans Le Journal des Débats daté du 17, p. 2, à l'article «
Les réformés et exemptés », qu'en vertu d'un arrêté pris le 15
par le Ministère de la Guerre, les hommes réformés ou exemptés des classes encore
soumises aux obligations militaires devaient se déclarer à la mairie de leur
domicile et seraient convoqués à partir du 7 octobre pour être examinés par un
Conseil de Révision. (Information également fournie par Le
Figaro du 17 septembre, p. 1.) Proust semble être revenu de Cabourg
dès le début d'octobre dans la crainte de cette convocation : voir la lettre à Mme
Catusse située vers le [15 septembre 1914] (CP
02824 ; Kolb, XIII, n° 173). [LJ, FP, FL]
3.
Il s'agit vraisemblablement des violentes
crises d'asthme subies lors de son retour de Cabourg, début octobre 1914 : dans la
lettre à Mme Catusse située vers la mi-octobre 1914, il relate une « crise
d'étouffement infiment plus violente que [s]es crises quotidiennes » survenue dans
le train en quittant Cabourg, d'une gravité telle que ses domestiques ont cru qu'il
allait mourir, et il déclare être « resté quelques jours bien incapable d'écrire »
après son retour (CP 02827 ;
Kolb, XIII, n° 176). [FL]
4.
Héraclès (Hercule, en latin), fils
de Zeus et d'une mortelle (Alcmène), est surtout célèbre pour ses « Douze Travaux »
et un nombre variable d'autres aventures et exploits. Quant à sa « Jeunesse
Éternelle », certaines versions du mythe lui donnent pour épouse dans l'Olympe Hébé,
la déesse de la jeunesse (voir notamment Hésiode, Théogonie, v. 950-955 : « Le généreux fils de la
belle Alcmène, Héraclès […], s’unit sur la cime neigeuse de l’Olympe à une pudique
épouse, Hébé, fille du grand Zeus et d’Héra à la chaussure d’or ; fortuné mortel
qui, après avoir accompli sur la terre de grands travaux, habite éternellement parmi
les dieux, sans connaître jamais ni la douleur ni la vieillesse. »). [FL, AE, FP]
5.
L'activité déployée par le Docteur Pozzi
était en effet impressionnante. Engagé volontaire à l’âge de 68 ans, Samuel Pozzi
était médecin principal avec le grade de lieutenant-colonel, affecté à la Direction
du Gouvernement Militaire de Paris. En dehors de son service à l’hôpital Broca, il
travaillait dans plusieurs hôpitaux militaires, dont l'hôpital Saint-Martin, celui
du Val de Grâce et son annexe du Panthéon au 18 de la rue Lhomond où il dirigeait la
première division de blessés, d’une centaine de lits. Il recevait ses clients privés
chez lui, au 47, avenue d’Iéna. [LJ]
J'aurai un conseil et peut-être un service (le conseil sera déjà un bien précieux service) à vous demander, au sujet du conseil de contre réforme que comme officier rayé des cadres, je puis être appelé à passer2. Mais je viens d'avoir des crises d'asthme cardiaque tellement terribles que je ne sais encore quel jour je serai en état d'aller vous trouver3. Cette lettre n'a donc qu'un seul but : vous demander de ne pas me trouver mal élevé si le jour où je me sentirai en état de me lever, je me permets de faire téléphoner chez vous, vous demandant si vous pouvez par hasard me recevoir. Il est infiniment probable, — avec tant de travaux, portés avec l'aisance d'Hercule (qui lui aussi avait éprouvé selon un beau mythe la Jeunesse Eternelle4), mais enfin qui vous prennent tout votre temps5 — que vous ne pourrez pas me recevoir ce jour là. Mais alors un autre jour je prendrai la liberté de retéléphoner. Et comme la classe déjà fort ancienne à laquelle j'appartiens ne sera appelée que dans les dernières, si même plusieurs fois de suite vous ne pouvez pas me recevoir il n'y aura aucun inconvénient à cela. D'ailleurs je viens d'être malade si violemment, qu'une période d'accalmie va peut-être succéder et qu'il me sera peut-être possible de me lever assez souvent, surtout pour un temps aussi court qu'aller chez vous. Ne prenez pas la peine de me répondre, ma lettre n'a qu'un seul but, vous annoncer mon téléphonage, l'expliquer, l'excuser, pour que vous ne le trouviez pas « cavalier ».
Veuillez agréer cher Monsieur l'expression de mon attachement respectueux et reconnaissant.
J'aurai un conseil et peut-être un service (le conseil sera déjà un bien précieux service) à vous demander, au sujet du conseil de contre-réforme que comme officier rayé des cadres, je puis être appelé à passer2. Mais je viens d'avoir des crises d'asthme cardiaque tellement terribles que je ne sais encore quel jour je serai en état d'aller vous trouver3. Cette lettre n'a donc qu'un seul but : vous demander de ne pas me trouver mal élevé si le jour où je me sentirai en état de me lever, je me permets de faire téléphoner chez vous, vous demandant si vous pouvez par hasard me recevoir. Il est infiniment probable, — avec tant de travaux, portés avec l'aisance d'Hercule (qui lui aussi avait éprouvé selon un beau mythe la Jeunesse Éternelle4), mais enfin qui vous prennent tout votre temps5 — que vous ne pourrez pas me recevoir ce jour-là. Mais alors un autre jour je prendrai la liberté de retéléphoner. Et comme la classe déjà fort ancienne à laquelle j'appartiens ne sera appelée que dans les dernières, si même plusieurs fois de suite vous ne pouvez pas me recevoir il n'y aura aucun inconvénient à cela. D'ailleurs je viens d'être malade si violemment, qu'une période d'accalmie va peut-être succéder et qu'il me sera peut-être possible de me lever assez souvent, surtout pour un temps aussi court qu'aller chez vous. Ne prenez pas la peine de me répondre, ma lettre n'a qu'un seul but, vous annoncer mon téléphonage, l'expliquer, l'excuser, pour que vous ne le trouviez pas « cavalier ».
Veuillez agréer cher Monsieur l'expression de mon attachement respectueux et reconnaissant.
Marcel Proust
1.
Le cachet postal de l'enveloppe portant la
date du 7 octobre 1914, Proust a dû écrire cette lettre le dimanche 4 octobre
1914. [FL]
2.
Après avoir fait un an de service
militaire à Orléans comme engagé volontaire, du 15 novembre 1889 jusqu’au 14
novembre 1890, Proust avait été nommé officier de réserve dans l’administration avec
affectation au Service de Santé du Gouvernement militaire de Paris, puis était passé
dans la réserve de l'armée territoriale le 1er octobre 1908.
Mais grâce à l’influence de son ami Gaston Calmette, directeur du
Figaro, frère du docteur Émile Calmette,
Médecin-Inspecteur, Directeur du Service de Santé du Gouvernement militaire de
Paris, il avait été rayé des cadres des officiers de réserve le 30 août 1911 « sur
décision présidentielle » sans passer devant une commission de réforme : voir
son dossier militaire et la lettre du Médecin-Inspecteur Émile
Calmette du 6 septembre 1911 à Proust (CP 02225
; Kolb, X, n° 168). Voir aussi la lettre à Léon Bailby du [9
décembre 1914] où il résume sa situation militaire (CP
05405 et ses notes 5, 6, 9 et 10.). Le 16 septembre 1914, il a pu lire
dans Le Journal des Débats daté du 17, p. 2, à l'article «
Les réformés et exemptés », qu'en vertu d'un arrêté pris le 15
par le Ministère de la Guerre, les hommes réformés ou exemptés des classes encore
soumises aux obligations militaires devaient se déclarer à la mairie de leur
domicile et seraient convoqués à partir du 7 octobre pour être examinés par un
Conseil de Révision. (Information également fournie par Le
Figaro du 17 septembre, p. 1.) Proust semble être revenu de Cabourg
dès le début d'octobre dans la crainte de cette convocation : voir la lettre à Mme
Catusse située vers le [15 septembre 1914] (CP
02824 ; Kolb, XIII, n° 173). [LJ, FP, FL]
3.
Il s'agit vraisemblablement des violentes
crises d'asthme subies lors de son retour de Cabourg, début octobre 1914 : dans la
lettre à Mme Catusse située vers la mi-octobre 1914, il relate une « crise
d'étouffement infiment plus violente que [s]es crises quotidiennes » survenue dans
le train en quittant Cabourg, d'une gravité telle que ses domestiques ont cru qu'il
allait mourir, et il déclare être « resté quelques jours bien incapable d'écrire »
après son retour (CP 02827 ;
Kolb, XIII, n° 176). [FL]
4.
Héraclès (Hercule, en latin), fils
de Zeus et d'une mortelle (Alcmène), est surtout célèbre pour ses « Douze Travaux »
et un nombre variable d'autres aventures et exploits. Quant à sa « Jeunesse
Éternelle », certaines versions du mythe lui donnent pour épouse dans l'Olympe Hébé,
la déesse de la jeunesse (voir notamment Hésiode, Théogonie, v. 950-955 : « Le généreux fils de la
belle Alcmène, Héraclès […], s’unit sur la cime neigeuse de l’Olympe à une pudique
épouse, Hébé, fille du grand Zeus et d’Héra à la chaussure d’or ; fortuné mortel
qui, après avoir accompli sur la terre de grands travaux, habite éternellement parmi
les dieux, sans connaître jamais ni la douleur ni la vieillesse. »). [FL, AE, FP]
5.
L'activité déployée par le Docteur Pozzi
était en effet impressionnante. Engagé volontaire à l’âge de 68 ans, Samuel Pozzi
était médecin principal avec le grade de lieutenant-colonel, affecté à la Direction
du Gouvernement Militaire de Paris. En dehors de son service à l’hôpital Broca, il
travaillait dans plusieurs hôpitaux militaires, dont l'hôpital Saint-Martin, celui
du Val de Grâce et son annexe du Panthéon au 18 de la rue Lhomond où il dirigeait la
première division de blessés, d’une centaine de lits. Il recevait ses clients privés
chez lui, au 47, avenue d’Iéna. [LJ]