Ceci n'est pas une lettre. Mais je veux vous remercier↩ tout de suite de l'envoi de vos deux livres1. Je vous avouerai↩ que vous avez été l'occasion d'une de mes plus grandes fu-↩ reurs. Je crois que ce n'est pas à vous que ce mouvement↩ de passion est imputable, mais aux procédés de la Nouvelle↩ Revue française. D'autres que moi, je pense sont choqués.↩ Il est inconcevable que des confrères qui vous aiment, qui↩ vous prônent … et qui enfin ont un extrême plaisir à vous↩ lire en soient privés et soient privés de donner leur opinion↩ sur vos œuvres à cause d'un bénéfice commercial à réaliser↩ et sur lequel je sais que l'auteur n'a point d'avantage. J'ai↩ souscrit, en grinçant des dents à leur combinaison diaboli-↩ que d'abonnement forcé : pour avoir les éditions originales↩ des auteurs de mon goût, il faut que je paie de 15 à 25f. des↩ auteurs que je ne veux pas lire ! Je n'ai jamais jeté sur les↩ quais un seul volume, je vais commencer à le faire pour les↩ livres de la N.R.F. Ce ne seront pas les vôtres et ce discours↩ est pour vous dire, ce que vous savez, à quel point j'y tiens.↩ Rien, hélas ! ne me consolera de n'avoir pu trouver nulle part↩ une première de A l'ombre des j. filles.
J'ai lu cent pages hier soir sans pouvoir m'arrêter. Voilà↩ un phénomène qui ne se produit pas souvent chez moi !
Je vous écrirai de nouveau, cher Monsieur. Croyez à mon↩ admiration, toute exceptionnelle.
René Boylesve.
Que ne ditesvous à votre sacré éditeur de faire un peu↩ soigner ses imparfaits du subjonctif ! C'est très gênant à la↩ lecture. C'est de la cuisine, mais je la goûte comme M. de↩ Norpois, et je voudrais des accents circonflexes sur les û de eût↩ et de fût, comme un goût de carotte dans le bœuf froid2.↩ Excusez la manie : elle est de mon âge !↩
Ceci n'est pas une lettre. Mais je veux vous remercier tout de suite de l'envoi de vos deux livres1. Je vous avouerai que vous avez été l'occasion d'une de mes plus grandes fureurs. Je crois que ce n'est pas à vous que ce mouvement de passion est imputable, mais aux procédés de la Nouvelle Revue française. D'autres que moi, je pense sont choqués. Il est inconcevable que des confrères qui vous aiment, qui vous prônent … et qui enfin ont un extrême plaisir à vous lire en soient privés et soient privés de donner leur opinion sur vos œuvres à cause d'un bénéfice commercial à réaliser et sur lequel je sais que l'auteur n'a point d'avantage. J'ai souscrit, en grinçant des dents à leur combinaison diabolique d'abonnement forcé : pour avoir les éditions originales des auteurs de mon goût, il faut que je paie de quinze à vingt-cinqfrancs des auteurs que je ne veux pas lire ! Je n'ai jamais jeté sur les quais un seul volume, je vais commencer à le faire pour les livres de la N.R.F. Ce ne seront pas les vôtres et ce discours est pour vous dire, ce que vous savez, à quel point j'y tiens. Rien, hélas ! ne me consolera de n'avoir pu trouver nulle part une première de À l'ombre des jeunes filles.
J'ai lu cent pages hier soir sans pouvoir m'arrêter. Voilà un phénomène qui ne se produit pas souvent chez moi !
Je vous écrirai de nouveau, cher Monsieur. Croyez à mon admiration, toute exceptionnelle.
René Boylesve.
Que ne dites-vous à votre sacré éditeur de faire un peu soigner ses imparfaits du subjonctif ! C'est très gênant à la lecture. C'est de la cuisine, mais je la goûte comme M. de Norpois, et je voudrais des accents circonflexes sur les û de eût et de fût, comme un goût de carotte dans le bœuf froid2. Excusez la manie : elle est de mon âge !
Votre
R. B.
1.
Proust a envoyé au destinataire une
deuxième édition d'À l'ombre des jeunes filles en fleurs et une
troisième édition de Pastiches et Mélanges, parus en juin aux
éditions de la N.R.F. : voir sa lettre au même de [peu avant le 30 octobre 1919]
(CP 03932 ; Kolb,
XVIII, n° 252). [ChC, FP]
2.
Allusion au dîner chez les parents du
narrateur, où M. de Norpois s'exclame : « Voilà ce qu'on ne peut obtenir au cabaret,
je dis dans les meilleurs : une daube de bœuf où la gelée ne sente pas la colle, et
où le bœuf ait pris parfum des carottes, c'est admirable ! »
(RTP, I, 450). [PK]
Ceci n'est pas une lettre. Mais je veux vous remercier↩ tout de suite de l'envoi de vos deux livres1. Je vous avouerai↩ que vous avez été l'occasion d'une de mes plus grandes fu-↩ reurs. Je crois que ce n'est pas à vous que ce mouvement↩ de passion est imputable, mais aux procédés de la Nouvelle↩ Revue française. D'autres que moi, je pense sont choqués.↩ Il est inconcevable que des confrères qui vous aiment, qui↩ vous prônent … et qui enfin ont un extrême plaisir à vous↩ lire en soient privés et soient privés de donner leur opinion↩ sur vos œuvres à cause d'un bénéfice commercial à réaliser↩ et sur lequel je sais que l'auteur n'a point d'avantage. J'ai↩ souscrit, en grinçant des dents à leur combinaison diaboli-↩ que d'abonnement forcé : pour avoir les éditions originales↩ des auteurs de mon goût, il faut que je paie de 15 à 25f. des↩ auteurs que je ne veux pas lire ! Je n'ai jamais jeté sur les↩ quais un seul volume, je vais commencer à le faire pour les↩ livres de la N.R.F. Ce ne seront pas les vôtres et ce discours↩ est pour vous dire, ce que vous savez, à quel point j'y tiens.↩ Rien, hélas ! ne me consolera de n'avoir pu trouver nulle part↩ une première de A l'ombre des j. filles.
J'ai lu cent pages hier soir sans pouvoir m'arrêter. Voilà↩ un phénomène qui ne se produit pas souvent chez moi !
Je vous écrirai de nouveau, cher Monsieur. Croyez à mon↩ admiration, toute exceptionnelle.
René Boylesve.
Que ne ditesvous à votre sacré éditeur de faire un peu↩ soigner ses imparfaits du subjonctif ! C'est très gênant à la↩ lecture. C'est de la cuisine, mais je la goûte comme M. de↩ Norpois, et je voudrais des accents circonflexes sur les û de eût↩ et de fût, comme un goût de carotte dans le bœuf froid2.↩ Excusez la manie : elle est de mon âge !↩
Ceci n'est pas une lettre. Mais je veux vous remercier tout de suite de l'envoi de vos deux livres1. Je vous avouerai que vous avez été l'occasion d'une de mes plus grandes fureurs. Je crois que ce n'est pas à vous que ce mouvement de passion est imputable, mais aux procédés de la Nouvelle Revue française. D'autres que moi, je pense sont choqués. Il est inconcevable que des confrères qui vous aiment, qui vous prônent … et qui enfin ont un extrême plaisir à vous lire en soient privés et soient privés de donner leur opinion sur vos œuvres à cause d'un bénéfice commercial à réaliser et sur lequel je sais que l'auteur n'a point d'avantage. J'ai souscrit, en grinçant des dents à leur combinaison diabolique d'abonnement forcé : pour avoir les éditions originales des auteurs de mon goût, il faut que je paie de quinze à vingt-cinqfrancs des auteurs que je ne veux pas lire ! Je n'ai jamais jeté sur les quais un seul volume, je vais commencer à le faire pour les livres de la N.R.F. Ce ne seront pas les vôtres et ce discours est pour vous dire, ce que vous savez, à quel point j'y tiens. Rien, hélas ! ne me consolera de n'avoir pu trouver nulle part une première de À l'ombre des jeunes filles.
J'ai lu cent pages hier soir sans pouvoir m'arrêter. Voilà un phénomène qui ne se produit pas souvent chez moi !
Je vous écrirai de nouveau, cher Monsieur. Croyez à mon admiration, toute exceptionnelle.
René Boylesve.
Que ne dites-vous à votre sacré éditeur de faire un peu soigner ses imparfaits du subjonctif ! C'est très gênant à la lecture. C'est de la cuisine, mais je la goûte comme M. de Norpois, et je voudrais des accents circonflexes sur les û de eût et de fût, comme un goût de carotte dans le bœuf froid2. Excusez la manie : elle est de mon âge !
Votre
R. B.
1.
Proust a envoyé au destinataire une
deuxième édition d'À l'ombre des jeunes filles en fleurs et une
troisième édition de Pastiches et Mélanges, parus en juin aux
éditions de la N.R.F. : voir sa lettre au même de [peu avant le 30 octobre 1919]
(CP 03932 ; Kolb,
XVIII, n° 252). [ChC, FP]
2.
Allusion au dîner chez les parents du
narrateur, où M. de Norpois s'exclame : « Voilà ce qu'on ne peut obtenir au cabaret,
je dis dans les meilleurs : une daube de bœuf où la gelée ne sente pas la colle, et
où le bœuf ait pris parfum des carottes, c'est admirable ! »
(RTP, I, 450). [PK]