102 bd Haussmann1↩
Madame,
Avec quel bonheur de↩
résurrection j'ai vu↩
après tant d'années les↩
arceaux merveilleux de↩
cette Ecriture, desquels il↩
semble qu'ils suffiraient à↩
protéger le céleste Jardin que↩
gardait l'Ange (devenu inutile)
porteur de l'épée flamboyante2.↩
Cette gentillesse de m'↩
écrire ainsi, et si vite↩
(qui cito dat, bis dat)3↩
m'a ramené aux senti-↩
ments anciens que vous↩
aviez depuis un peu↩
martyrisés. Et je suis triste↩
de penser, au moment de↩
ce regain de respectueuse
tendresse que trois livres de moi↩
vont paraître dans huit jours4, où↩
la place vous est faite par le hasard↩
si petite, les quelques lignes du pastiche↩
de Renan que vous connaissez5, une↩
ligne d'un pastiche de StSimon↩
nouveau que vous ne connaissez pas6↩
(peut'être un mot dans les « Mélanges »7 je ne sais pas, ce n'est pas moi qui ai confectionné la Sélection↩
Je n'oublierai pas votre gentillesse d'↩
aujourd'hui et j'aurai l'occasion, pas
très lointaine, de traduire dignement ma↩
gratitude. Mais je souffre de ne pas avoir↩
sollicité et reçu ce mot de vous un↩
mois plus tôt, quand j'aurais pu mettre dans↩
le livre ce que maintenant je ne peux plus↩
mettre que dans un autre8. C'est Monsieur↩
de Noailles aussi que je voudrais remercier↩
(comme la guerre l'a encore embelli !). Je↩
trouverai un moyen. Qu'il est bon de s'être↩
rappelé de vous parler de cela9, dites-lui je vous
en prie (vraiment, n'oubliez pas↩
de lui dire) combien j'en ai été↩
ému. Ai-je besoin de vous dire↩
que votre admirable lettre n'a été↩
pour moi qu'un dessin sans↩
prix car je n'ai pu déchiffrer↩
un seul mot. Seul le nom de↩
Bernstein est apparu et j'ai↩
compris pourquoi il venait là10.↩
Mais bien avant d'oser vous ennuyer↩
de cela, il y a déjà des mois, je↩
lui avais fait téléphoner et il
avait comme moi égaré l'↩
adresse. Cela n'a pas d'im-↩
portance puisque Guiche (qui↩
a été sublime pour moi dans toute↩
cette affreuse histoire de déména-↩
gement, est allé voir les gérants,↩
a tiré d'eux de l'argent pour↩
moi alors que je croyais leur↩
en devoir) a chargé son ingénieur↩
de rechercher les maisons de↩
liège susceptibles de convertir
ma subérine11 en bouchons
Daignez agréer Madame ma↩
respectueuse admiration reconnaissante
Marcel Proust
Après vous avoir écrit je regarde une cinquan-↩
tième fois le beau dessin arabesque, et↩
voici que les mots Cité du Retiro, un Elysée↩
en Elysée qui nommé par vous devient les↩
« Champs Elysées » brillent en lettres de feu. J'↩
enverrai demain Cité du Retiro12 savoir à quoi↩
cette mystérieuse adresse peut correspondre. Sans
doute y trouverai-je le placement de mon liège↩
qui n'est pas répartissable dans le logis pour lequel↩
je quitte le Boulevard Haussmann. (Je le↩
quitte parce que la Maison a été vendue à un↩
banquier qui en bon M. Josse13 veut en faire une↩
banque, et, pour cela, fait partir tous les loca-↩
taires, sans comprendre qu'il y en a au moins un↩
qu'il tue en le déracinant). Je crois du reste que↩
les forts, même de Liège, ont fait leur temps14 Et j'ai↩
l'idée qu'il vaudrait mieux transporter les moyens de↩
défense dans l'oreille. Madame Simone m'a parlé de↩
boules d'ivoire15 (comme j'aimerais avoir des précisions là-dessus !)↩
la duchesse de Guiche d'ouate vaselinée. Mais sans doute ces dames sont↩
moins sensibles au bruit que moi qui suis terriblement malade, mourant.