Activer/Désactiver le surlignage
Si je n’avais une telle ↩
crise aujourd’hui je vou-↩
drais vous dire – et ↩
pour Monsieur Picasso – ↩
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reproches à Dieu. »3 Je ↩
vis avec cette nostalgie. ↩
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vous dirai quels regrets. ↩
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mauve5 comme le Cygne↩
« avec ses gestes fous,
Comme les exilés ridiculese et sublime ».6↩
« Et puis je pense à vous ». 7A vous, Jean, ↩
et je pense aussi à l’« écossais » de la↩
petite fille, si touchant, de la petite ↩
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merveilleusement. Quelle concentration dans ↩
tout cela, quelle nourriture pour des
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fréquenté la poussière des cirques et tout ↩
ce dont j’ai ce soir la déchirante pitié. ↩
Merci cher Jean de m’avoir aidé de ↩
ttes façons8 à faire l'effort dans l'état ↩
où j'étais d’aller chercher au Châtelet↩
« Le seul pain si délectable ↩
Que ne sert pas à sa table ↩
Le monde que nous suivons ». 9↩
Comme Picasso est beau.
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1
Cher Jean
Si je n’avais une telle crise aujourd’hui je voudrais vous dire – et pour Monsieur Picasso – les éternuements et le spleen que provoque inlassablement en moi le bleu dominical aux astragales blanches de l’
acrobate incompris2, dansant « Comme s’il adressait des reproches à Dieu. »3 Je vis avec cette nostalgie. Les autres ballets4 étaient quelconques. Celui-là poignant et continue à développer en moi je vous dirai quels regrets. Je revois le cheval mauve5 comme le Cygne « avec ses gestes fous,
Comme les exilés ridicule et sublime ».6 « Et puis je pense à vous ». 7À vous, Jean, et je pense aussi à l’« écossais » de la petite fille, si touchant, de la petite fille qui freine et met en marche si merveilleusement. Quelle concentration dans tout cela, quelle nourriture pour des
âges de famine et quel chagrin quand j’avais encore des jambes de n’avoir pas fréquenté la poussière des cirques et tout ce dont j’ai ce soir la déchirante pitié. Merci cher Jean de m’avoir aidé de toutes façons8 à faire l'effort dans l'état où j'étais d’aller chercher au Châtelet « Le seul pain si délectable Que ne sert pas à sa table Le monde que nous suivons ». 9 Comme Picasso est beau.
Tendrement à vous
Marcel
- 1.
- Cette lettre se situe peu après le 21
mai 1917, car Proust l'écrit après avoir assisté à l'une des représentations des
Ballets Russes données au Théâtre du Châtelet au mois de mai 1917, les 21 ou 23. Les
Ballets Russes partirent pour Madrid le 24 mai (« Dans les
théâtres », Le Gaulois, 18 mai 1917, p.
4). [PK, FP]
- 2.
- Il s'agit du ballet
Parade, sur un thème de Jean Cocteau, musique
d'Erik Satie, chorégraphie de Léonide Massine, décors et costumes de Pablo Picasso,
qui fut mal reçu. Le décor représentait un cadre urbain, dans le style cubiste. Un
acrobate portait un maillot bleu et blanc. Le programme des premières
représentations reproduisait des textes d'Apollinaire et de Léon Bakst (Jean
Cocteau, Entre Picasso et Radiguet, Paris, 1967, p. 69-71). Des
photographies du spectacle sont conservées dans les collections du Victoria and
Albert Museum : voir l'un des clichés de l'acrobate et son maillot aux astragales
blanches. Une reconstitution, fidèle à la chorégraphie, à la partition, aux
décors et aux costumes, a été tentée (Susanna Della Pietra, 2008). [PK, CSz, NM]
- 3.
- Baudelaire, « Le Cygne » (Les
Fleurs du Mal, 1857), septième strophe : « Vers le ciel ironique et
cruellement bleu,/ Sur son cou convulsif tendant sa tête avide,/ Comme s'il
adressait des reproches à Dieu ! » [PK]
- 4.
- Le programme des
représentations des Ballets Russes au Châtelet en mai 1917
précise qu'il s'agit de : Soleil de minuit (danses russes),
musique de Rimsky-Korsakov, décor et costumes de Larionov, chorégraphie de Massine ;
Petrouchka, de Stravinsky et Benois ; et Les
Femmes de bonne humeur, de Bakst et Massine. [PK, FP]
- 5.
- Il s'agit d'une des figures du ballet
Parade, dont subsiste une photographie. [CSz]
- 6.
- « Le Cygne », neuvième strophe : « Je pense
à mon grand cygne, avec ses gestes fous,/ Comme les exilés, ridicule et sublime,/ Et
rongé d'un désir sans trêve ! et puis à vous, / Andromaque […] ». [PK]
- 7.
- Allusion au premier vers du même poème : «
Andromaque, je pense à vous ! » [PK]
- 8.
- Proust, qui avait lu les critiques qui
avaient suivi la première de Parade le 18 mai, avait exprimé à
Cocteau le souhait d'assister à l'une des représentations si son état de santé le
lui permettait (CP 03290 ; Kolb, XVI, nº 64, [le 19 ou le 20
mai 1917]) : « […] je voudrais bien pour mon humble part bénéficier d'un autre
[miracle] et qui serait qu'un jour de santé coïncidât avec un jour de Parade.
» [CSz]
- 9.
- Racine, Cantiques
Spirituels (1694), troisième strophe, adaptée : « […] C'est ce pain
si délectable/ Que ne sert pas à sa table/ Le monde que vous suivez
». [PK]