Mardi soir1
Mon cher Lionel
Je reçois à l’instant ta lettre↩
et comme j’ai très mal aux yeux↩
je me borne provisoirement à↩
une réponse fort incomplète. Si↩
les 3 jeunes hommes (pas si jeunes ↩
puisque je suis moi-même vieux↩
hélas — et d’ailleurs sensiblement leur↩
aîné) sont ceux que je suppose, je
↩
↩
2
ne te cacherai pas que j’avais depuis↩
longtemps, fort avant mes pertes↩
d’argent, donné à l’un d’eux ↩
le conseil de mettre son argent↩
chez toi2. Mais voici la difficulté↩
qui ne rend pas ce projet↩
irréalisable mais très difficile.↩
Tu sais qu’Israël est souvent↩
à la source des fortunes qui l’ont↩
le plus oublié. Or si d’Albufera↩
est destiné à hériter de ses parents3
↩
3
↩
↩
4une belle fortune, le plus clair de celle qu’il↩
a actuellement vient de sa femme, fille↩
de la Pcesse d’Essling5, c’est à dire petite ↩
fille de Me Furtado Heine6. Or cette↩
fortune se trouve déposée à la Banque Heine↩
et je ne sais même pas si des dispositions↩
testamentaires ne rendent pas très difficile de l’↩
en retirer ; je me rappelle confusément qu’un↩
obstacle de ce genre s’était dressé quand d’Albufera
↩
↩
4
avait voulu mettre de l’argent à Bruxelles chez M.↩
Lambert. — .Gabriel de La Rochefoucauld semble↩
au 1er abord n’avoir aucun rapport avec d’↩
Albufera. Mais sa fortune (au moins actuelle)↩
vient de ce qu’il a épousé la fille de la Pcesse↩
de Monaco, fille elle-même d’autres Heine7, ↩
non Furtado, mais parents8 et extrêmement↩
riches mais banquiers. Enfin Guiche doit sa↩
fortune à ce que sa mère la Dsse de Gramont↩
était née Rothschild (banque idem)9. Il est↩
vrai que sa femme Mlle Greffulhe lui vaudra plus ↩
5
un jour, mais actuellement le père et la↩
mère d’icelle sont en parfaite santé10.↩
Ces explications peu intéressantes pour↩
toi sont pour te montrer que ce n’est↩
pas manque de désir d’une chose↩
à laquelle j’ai souvent pensé (et↩
je dois dire plus encore dans l’↩
intérêt des déposants que dans le↩
tien)) (le mot déposants est inexact↩
mais tu me comprends) si je n’y ai encore↩
jamais abouti. Mais le fait de n’↩
avoir pas vu ces gens depuis tant d’↩
années y est aussi pour q.q. chose. ↩
Or maintenant que je sais que l’idée
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ne t’en déplaît pas, dès que je serai↩
en état de recevoir quelqu’un je↩
convoquerai ceux qui ne sont pas↩
mobilisés et si je les convertis je↩
crois que je leur aurai rendu un↩
très grand service. Mais leur↩
rendre un très grand service, si↩
agréable que cela me puisse être,↩
ne me paraît pas une façon très↩
desintéressée de te témoigner ma
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gratitude. Aussi pour en revenir à mes↩
moutons, tu me ferais bien grand plaisir↩
en élevant à des proportions satisfaisantes un↩
courtage dérisoire. Le jour où j’aurai réussi↩
à fixer chez toi deux ou trois multimillionnaires↩
implorant tes conseils, ce jourlà je con-↩
sentirai à ce que tu ramènes ce que tu me ↩
prends au chiffre actuel. Mais d’ici là, je
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te demande de tenir compte de ma prière et ↩
de croire à ma bien affectueuse reconnaissance↩
Marcel Proust ↩
Pour le Crédit Industriel je croyais que tu m’↩
avais dit il y a q.q. temps que je devais être↩
créditeur d’environ 2000 fr. Comme je ne leur ai↩
demandé aucun argent (chèques) depuis 8 mois,↩
voyant que ces 2000 fr. étaient évanouis (je ne↩
parle pas de la baisse des Mexico qui est postérieure)↩
j’avais supposé qu’ils avaient compté des intérêts après le rembour-↩
sement. Puisque cela n’est pas je n’ai aucune réclamation à leur faire11.